La philosophie, depuis longtemps associée au soin de l’âme, offre des perspectives essentielles pour comprendre et traiter les troubles mentaux. Anne Staquet, professeure de philosophie, propose une formation innovante pour répondre à ces enjeux. Le certificat interuniversitaire en «philosophies de la santé mentale», accrédité par l'Inami, s’adresse aux professionnels confrontés à ces problématiques dans leur pratique quotidienne.
A priori, rien ne semble plus éloigné de la médecine que la philosophie. L’une est entièrement tournée vers la pratique et les personnes, tandis que l’autre est orientée vers la spéculation et les livres. Pourtant, dès l’Antiquité, la philosophie est considérée comme un soin de l’âme, au point qu’Épicure peut affirmer qu’une philosophie qui ne soigne pas l’âme n’a pas de raison d’être : « Il est vide, le discours de ce philosophe qui ne soigne aucune passion humaine. De même, en effet, qu'une médecine qui ne chasse pas les maladies du corps n'est d'aucune utilité, une philosophie ne l'est pas non plus si elle ne chasse pas la passion de l'âme. » (Fragment 221, Usener). Comme on peut le constater, c’est dans le domaine de ce que l’on nomme aujourd’hui la santé mentale que la philosophie se rapproche le plus de la médecine.
La philosophie a occupé une place centrale dans la manière dont les médecins ont conçu la psychiatrie dès son apparition comme discipline à la fin du XVIIIe siècle. Ce domaine de recherche embrasse un large champ, qui concerne aussi bien la fiabilité et la validité des savoirs et discours psychiatriques (épistémologie), l’étude de l’expérience subjective (phénoménologie), les liens entre cerveau et pensée (philosophie de l’esprit) que l’éthique du soin et de la recherche.
Aujourd’hui encore, de nombreux concepts relevant de la philosophie sont couramment utilisés en santé mentale. Que l’on pense seulement à la conception de soi, à la conscience, au libre arbitre et à la responsabilité, à la normalité et à l’anormalité, pour ne citer que les plus évidents. De nombreux médecins, psychiatres et psychologues témoignent de leur manque d’outils dans ce domaine.
Or, la question de la santé mentale concerne tous les médecins, pas seulement les psychiatres. Les médecins généralistes sont en première ligne. Et pas uniquement parce qu’ils sont régulièrement confrontés à la colère ou aux délires des patients. C’est vers eux que se tournent en premier lieu la plupart des personnes souffrant de troubles mentaux. Sans compter que les personnes éprouvant un problème mental les consultent généralement pour des troubles du sommeil, une perte d’énergie ou des addictions. Ce sont souvent eux qui doivent déterminer si le problème est somatique ou psychique, s’il est sérieux ou temporaire, s’il nécessite une prise en charge psychothérapeutique ou non.
De nombreux concepts et questionnements liés à la santé mentale sont de nature philosophique. Que l’on pense simplement à la conception de la santé et de la pathologie ou à la délimitation entre la normalité et l’anormalité. Mais cela va bien au-delà d’une simple question de définition. En effet, concevoir la santé comme une norme statistique ou comme un idéal à rétablir modifie totalement l’approche médicale. De même, la manière dont on considère l’émotion peut entièrement changer la relation avec les patients et leurs troubles mentaux. Les problèmes éthiques liés aux affections psychiatriques sont également nombreux. Pensons seulement à la stigmatisation, qui touche aussi bien le monde médical que la société dans son ensemble. En effet, des études montrent que, lorsqu’une personne atteinte de maladie mentale se présente aux urgences, son problème somatique passe souvent au second plan et elle est généralement dirigée vers un service psychiatrique plutôt que vers d’autres services. Que peut-on faire, en tant que personnel soignant, face à une telle injustice ?
Il ne s’agit pas ici de plaider pour que les généralistes soient davantage formés en psychiatrie (même si cela pourrait avoir du sens), mais de proposer une initiative différente : celle d’un certificat interuniversitaire en « philosophies de la santé mentale ».
La formation, accréditée par l’INAMI, est destinée aux médecins, aux psychologues, aux orthopédagogues, aux criminologues, aux psychanalystes, aux philosophes et à tous ceux qui, dans leur travail, sont confrontés à la question de la santé mentale. Orientée vers la clinique, elle permet de prendre du recul et de réfléchir sous divers angles à cette thématique.
Psychiatres, psychologues et philosophes constituent l’essentiel des formateurs. Y sont abordées des questions telles que le placebo, les enjeux et préconceptions du DSM, la contention, la question du diagnostic en santé mentale, comment l’être humain est capable du pire comme du meilleur, l’apport des neurosciences, etc. Ce certificat, organisé par l’ULB et l’UMONS, se donne à Mons un samedi par mois, d’octobre à avril. Les inscriptions sont ouvertes jusqu’à fin septembre.
> Informations : https://web.umons.ac.be/fs/fr/formations/cu-philsm/
> Responsable : Anne.Staquet@umons.ac.be